Biram Dah Abeid : le temps de rendre à la Mauritanie ce qu’elle a donné

Un texte récemment publié et entièrement consacré à Biram Dah Abeid est, par son ton brillant et sa construction soignée, témoigne d’une plume érudite qui nous éclaire sur un débat majeur.                                                            Toutefois, il m'a donné l'occasion ici d’élargir l’analyse pour restituer une image plus complète de la trajectoire politique de l’intéressé et de son rapport avec l’État mauritanien. Loin de l’image d’un homme persécuté, Biram Dah Abeid a, depuis presque deux décennies, bénéficié d’une liberté d’action exceptionnelle dans l’espace politique national, et d’une reconnaissance qui dépasse largement les frontières communautaires.

Depuis son entrée sur la scène politique, il s’est librement présenté à toutes les échéances électorales, législatives comme présidentielles, engrangeant des scores qu’aucun autre opposant mauritanien n’a jamais atteints dans l’histoire politique récente du pays. Il a sillonné villes et campagnes, organisé des meetings, tenu des discours d’une extrême virulence contre les pouvoirs successifs, sans jamais être réduit au silence ni empêché de se faire entendre. Plus encore, il n’a pas hésité, à plusieurs reprises, à fustiger publiquement des institutions entières, des communautés entières, et même à défier les forces de sécurité en affirmant qu’il saurait « écraser » toute tentative d’intimidation. Ces faits, connus de tous, démontrent qu’aucun autre acteur politique n’a bénéficié d’une telle latitude dans l’expression publique de son opposition.

Si le parti RAG n’a pas encore obtenu de reconnaissance légale, cela ne peut être interprété comme une volonté de museler son chef. C’est plutôt l’application stricte de nos textes qui interdisent, pour des raisons de cohésion nationale, les formations politiques reposant sur une base communautaire ou ethniciste. Biram lui-même n’a jamais dissimulé que son combat s’inscrivait prioritairement dans la défense d’une communauté spécifique ; combat légitime et honorable dans son principe, mais incompatible avec le cadre juridique de notre République. Il reste cependant le président de l’IRA, mouvement antiesclavagiste officiellement reconnu et libre de ses activités, ce qui montre que son engagement bénéficie déjà d’un cadre légal et institutionnel solide.

Il serait simplement faux de présenter Biram Dah Abeid comme un paria ou une victime d’un « système » répressif. Au contraire, la nation mauritanienne lui a offert tribune et visibilité, l’a « saupoudré » de tous les honneurs politiques possibles : député élu (sans même battre campagne), trois fois de suite classé second aux présidentielles, interlocuteur permanent du pouvoir, invité de multiples forums internationaux. Peu d’opposants, dans l’histoire de notre pays, ont disposé d’une telle capacité d’expression et d’influence.

Dans ce contexte, le devoir moral et politique qui s’impose à un homme de son envergure n’est point de raviver les fractures sociales, mais de contribuer à la consolidation du front intérieur. Car le front intérieur n’est pas une formule creuse : il s’agit du socle même de notre sécurité nationale, de notre cohésion et de notre capacité à résister aux vents contraires. Dans un environnement régional marqué par l’instabilité chronique du Sahel, la prolifération des menaces transfrontalières, les ingérences extérieures et les crises multiformes mondiales, seule une nation unie, soudée autour de valeurs partagées, peut espérer préserver sa stabilité et son développement. Raffermir le front intérieur signifie dépasser les clivages artificiels, protéger la paix civile et renforcer la crédibilité de l’État face aux défis sécuritaires et diplomatiques.

Persister dans une rhétorique accusatoire et communautaire, c’est non seulement hypothéquer notre stabilité, mais aussi offrir un terrain fertile aux agendas hostiles extérieurs qui cherchent à exploiter nos fragilités internes. C’est également s’exposer à un désaveu croissant : de plus en plus de mauritaniens, toutes communautés confondues, commencent à soupçonner à la fois l’opposant et les pouvoirs en place d’entretenir une forme de connivence, comme si ce jeu d’affrontements verbaux n’était qu’une diversion politique. Le peuple, lui, ne s’y trompe pas : il ne se nourrit pas de querelles, il réclame des solutions concrètes à ses préoccupations quotidiennes. 

Ils voient clairement dans cette surenchère verbale une menace pour la quiétude de notre vivre-ensemble. Il ne s’agit plus d’un simple débat politique, mais d’une question vitale pour la survie de notre modèle républicain et pour la sauvegarde de la paix sociale, patiemment construite depuis des siècles.

L’heure n’est plus à l’amalgame, mais à la responsabilité. Biram Dah Abeid, fort de son aura politique et de la confiance que lui ont accordée tant de mauritaniens, devrait reconnaître que la Mauritanie lui a offert une place éminente dans le débat public. Il devrait, à ce moment décisif, s’élever au-dessus des rancunes et des discours réducteurs, embrasser une vision nationale inclusive, et mettre sa voix puissante au service du dialogue, de l’État de droit et de l’ancrage démocratique. Car le courage politique, le vrai, n’est pas seulement dans la dénonciation, mais dans la capacité à construire, à rassembler et à protéger notre maison commune contre les périls qui nous guettent.

Un leader qui se réclame de la démocratie ne devrait pas se contenter d’exiger des droits pour une seule composante, mais œuvrer à les garantir pour tous. Il ne devrait pas se limiter à dénoncer les imperfections de l’État, mais contribuer à la recherche de solutions pour le renforcer. Il ne devrait pas fracturer le front intérieur par des paroles incendiaires, mais le raffermir pour faire face aux multiples défis qui nous attendent. Car en affaiblissant ce front intérieur, c’est la nation entière qu’on expose, et avec elle l’avenir même des causes justes que l’on prétend défendre.

 

Aujourd’hui, Biram Dah Abeid a le choix : persister dans une logique de confrontation stérile, au risque de se voir progressivement désavoué par une opinion lassée de l’excès et de l’outrance ; ou bien devenir l’artisan d’un sursaut patriotique qui transcende les appartenances, consolide l’unité nationale et offre à notre jeune République un horizon de paix et de stabilité. La véritable grandeur d’un homme politique se mesure non à la virulence sans fin de ses attaques, mais à sa capacité de rassembler son peuple dans les moments décisifs.

 

Haroun Rabani 

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