La ministre de l'éducation Babah à propos des enseignants publics formés sans classes

Le message de la ministre de l’Éducation et de la réforme du système d'enseignement, exprimé avec fermeté mais sans animosité, mérite d’être lu non pas comme un simple rappel à l’ordre, mais comme une tentative lucide — peut-être désespérée — de rétablir un minimum de gravité dans un espace professionnel de plus en plus contaminé par les logiques du théâtre digital.

Car ce qu’elle pointe, sans fioriture ni détour, c’est un phénomène à la fois révélateur et inquiétant : la transformation de l’acte de démission — autrefois intime — en un rituel d’exposition publique, souvent précédé d’un enchaînement de conduites qui relèvent davantage de la ruse administrative que de la loyauté professionnelle. Multiplication de congés médicaux au contenu douteux, certificats rédigés à la chaîne par la même source, et surtout, une insistance désarmante à quémander l’indulgence hiérarchique jusqu’à l’extrême limite de la légalité, pour ensuite afficher en ligne une sortie « volontaire », prétendument courageuse, voire sacrificielle.

La ministre, sans nier les souffrances, souligne ici une crise de la responsabilité personnelle. Elle met en lumière un double langage dont les effets sont délétères : un discours de victime sur la place publique, et un comportement de défausse dans les circuits internes. Ce contraste, loin d’être anecdotique, témoigne d’un glissement plus large : celui d’un espace professionnel devenu perméable à une culture de l’abandon justifié, de l’éthique contextuelle, de l’indignation à géométrie variable.

Mais son propos ne s’arrête pas à la critique. Elle prend soin d’honorer celles — et ceux — qui, dans la discrétion et l’abnégation, tiennent encore l’école debout. Ces enseignants qui, loin des projecteurs, affrontent les surcharges, les retards de paiement, l’infrastructure dégradée, la violence latente, sans jamais cesser de transmettre. Ce sont eux qu’elle appelle à l’avant-scène morale, et non ceux qui transforment leur départ en happening personnel.

Il est utile ici de rappeler que l’engagement public, surtout dans un secteur aussi structurant que l’éducation, suppose une éthique de la continuité. Certes, nul n’est tenu à l’impossible, et le départ d’un enseignant en détresse ne saurait être blâmé. Mais le droit à la rupture ne dispense ni du devoir de cohérence, ni de la décence dans la manière de s’extraire du service. L'État, imparfait, critiquable, ne peut se réformer si ses agents choisissent la mise en scène au lieu de la confrontation, la fuite au lieu de la lutte interne, la dénonciation virale au lieu de l’argumentation construite.

Ce qui est en jeu, dans cette séquence, ce n’est pas seulement l’image de l’enseignant ou l’autorité de la ministre. C’est la dignité du service public dans un monde qui tend à lui imposer les codes de la popularité instantanée, de l’exutoire personnel et de la désinstitutionnalisation émotionnelle.

Il faut, plus que jamais, retrouver une ligne de crête entre souffrance légitime et stratégie victimaire, entre révolte fondée et désengagement stylisé. Et cette ligne passe par une exigence simple : qu’on puisse encore dire non — mais sans trahir la fonction.

Mohamed Ould Echriv Echriv