L’intervention de la députée Kadiata Malick Diallo, lors de la dernière séance parlementaire, ne saurait être réduite à l’exercice classique du contrôle institutionnel. Derrière la forme rigoureuse d’une question orale adressée au ministre de l’Intérieur, c’est une architecture politique beaucoup plus dense qui s’est déployée, où chaque mot, chaque inflexion, semblait porter en lui une double mémoire : celle de l’État et celle des peuples.
En s’attachant non pas à la légitimité de la politique migratoire elle-même, mais aux conditions dans lesquelles celle-ci est appliquée,
Kadiata a introduit un déplacement subtil mais fondamental : elle n’a pas contesté le droit d’expulser, mais interrogé le seuil au-delà duquel l’expulsion cesse d’être un acte souverain pour devenir un acte de déshumanisation.
Sa parole, en apparence technique, formulée dans les cadres convenus de la légalité, déborde en réalité l’espace institutionnel pour s’inscrire dans une triple strate de sens.
Il s’agissait d’abord de rappeler que toute souveraineté authentique repose, non pas sur la seule capacité d’exclure, mais sur la manière dont elle traite celui qu’elle expulse. La dignité, dans sa vision, ne relève pas de la compassion, mais de l’éthique d’État.
Plus profondément encore, c’est une critique des mécanismes de validation administrative qui s’exprime à travers son scepticisme à l’égard des rapports officiels, pourtant invoqués par le ministre.
Lorsque les organes consultatifs remplacent l’écoute réelle, lorsque le satisfecit technique dissimule le mutisme politique, c’est la parole citoyenne qui est désamorcée sous couvert de conformité.
Et c’est là peut-être l’élément le plus finement articulé de son intervention, Kadiata a réintroduit dans le débat une dimension transnationale : celle du lien fraternel entre peuples africains, celle du risque symétrique. Elle ne dénonce pas seulement des actes, elle avertit. Car l’histoire est faite de retours. Ce que nous faisons aujourd’hui à ceux que nous ne voulons plus voir, d’autres pourraient demain l’infliger aux nôtres. Dans une Afrique éclatée par les lignes de fracture migratoires, la question n’est pas simplement juridique ou diplomatique, elle est existentielle : comment rester fidèle à notre africanité lorsque nous agissons comme si nous n’avions plus de mémoire partagée ?
Le message de Kadiata n’était donc pas un affront, mais une convocation. Il s’adressait au pouvoir, à la société, à l’histoire. À travers la rigueur de son propos, elle a rappelé que la vraie souveraineté n’est pas celle qui repousse, mais celle qui se reconnaît dans le regard de l’autre. Que la force d’un État ne réside pas dans la brutalité de ses dispositifs, mais dans l’élégance morale avec laquelle il traite même ceux qu’il ne veut plus accueillir. Et que dans ce monde d’ombres mouvantes, la dignité reste notre dernière frontière.